Étude Pontificale

Comme à l’accoutumé après l’office du matin, le Grand-Pontife se réservait un temps de réflexion et d’écriture dans ses appartements du Saint-Siège. Pétri de valeurs belondaures, le chef spirituel du monde syiste n’avait que peu en commun avec l’orgueil avarois légendaire et le penchant des néoalexandrins pour le faste. C’était un homme simple, éternellement vêtu d’une robe de bure écarlate et se déplaçant sans souliers lorsque l’occasion le permettait. De retour dans son étude, lieu bâtit de pierres blanches aux fines meurtrières, le vieil homme décacheta les dernières missives de par-delà les mers. Chaque jour apportait son lot de d’inquiétudes, mais le bon Sevaniste qu’était Hans ne se laissait jamais submerger par la résignation.

Soudain, un cliquetis trahit l’arrivée du Chambellan. Sa silhouette s’avança dans la lueur du grand feu de cheminée.

- " Votre Sainteté. " déclara le clerc aux épaules recouvertes de lourdes chaînes cerclées de clefs en or " Son Altesse de Bordebon est arrivée. "

- " Merci Antonio " répondit Turmwächter en s’approchant à son tour " Faites-le entrer. "

S’avança un jeune homme de vingt-et-un ans, plutôt grand et faisant montre de cette fierté impérieuse tant caractéristique aux individus bien nés. Il arborait une armure finement travaillée dans les ateliers de Burdigeaux, en Belondor, héritage remontant au temps du roi Charles II, et recouverte d’un manteau aux couleurs de l’Ordre des Chevaliers de Saint-Sevan. Vêtu comme en se rendant à la guerre, il était clair que le nouvel arrivant ne venait pas discuter de théologie avec son hôte.

- " Bienheureux-Père... "

Hadrien s’agenouilla pour embrasser l’anneau pontifical. Il fut brièvement déstabilisé lorsque Hans Turmwächter, fidèle à lui-même, l’enjoignit presque aussitôt de se relever.

" Les galères sont prêtes, Votre Béatitude, et les troupes embarquées. Des officiers navals de l’Empire se sont portés volontaires, mais la marine belondaure ne pourra pas officiellement se joindre à notre armada. Plus que jamais, mes compatriotes subissent les ravages de la flémingite. "

Les rumeurs évoquant le rassemblement d’une grande flotte syiste portant secours à Yrusalem assiégée se révélaient donc vraies. Le Grand-Pontife, pourtant homme de paix, avait manifestement prit les devants alors qu’Avaricum concentrait ses forces sur le continent. Le prince royal trouverait dans cette expédition non seulement l’occasion de remplir ses vœux syistes, mais aussi de s’auréoler d’une gloire indispensable pour ses ambitions personnelles auprès de sa patrie mourante.

Le visage du Grand-Pontife se fendit d’un petit sourire paternel devant la silhouette de son protégé. La présence du chevalier lui rappelait son temps à la tête de l’Église Occidentale, lorsqu’un schisme divisait encore le Syisme mais qu’Elbêröhnit rayonnait aux quatre coins du monde. En effet, par un amer concours de circonstances, l’Église unifiée renaquit des cendres belondaures. Le Grand-Pontife restait sceptique sur les chances d’un retour de l’empire septentrional, mais il ne dissimulait pas son appui à la Maison de Bordebon depuis que la flémingite emporta les derniers Temararien. Quoi qu’il advienne, Hadrien savait qu’il serait toujours le bienvenu en Gallice.

- " Mon fils, vos propos sont empreints d’une certaine fougue. "

Il s’assit pour s’emparer d’un tisonnier qu’il remua dans les braises ardentes.

" Ce n’est nullement une faute. Saint Sevan nous a enseigné l’importance de défendre la Foy et les siens face aux périls rencontrés sur le Chemin de la Concorde. Mais je crains que bon nombre de combattants ne réalisent pas les dangers qui les attendent, et que certains ne voient dans ce périple qu’une occasion de gagner des honneurs. "

Turmwächter n’était pas naïf. Les états avaient souvent utilisé les loges syistes à des fins éminemment politiques. Les gouvernements faisaient en ce moment même pression pour qu’il déclare formellement une croisade, décision pesante aux répercussions majeures dans l’Archipel. Il refusait pourtant d’enclencher une telle entreprise que beaucoup percevraient comme un anachronisme.

" Quoi qu’il en soit, je ne ferai que la requête suivante : faîtes honneur aux vôtres et gardez à l'esprit les enseignements des Saintes Notes. Le sang des innocents et des impuissants ne doit couler sous aucun prétexte. Ais-je votre parole, Altesse ? "

-" Vous avez ma parole, Bienheureux-Père. Je retiendrai l’épée vengeresse contre les agneaux de la cité, qu’ils soient syistes ou mécréants. "

Le chevalier réalisa à cet instant tout le poids de la fonction de son interlocuteur. D’un côté, s’enquérir à chaque instant de la condition de millions de croyants à travers le monde, et de l’autre, maintenir l’intégrité et l’influence de l’Église malgré les ennemis intérieurs comme extérieurs. En un sens, ces devoirs cardinaux lui rappelaient ceux des souverains temporels, à la différence près que leurs échecs pouvaient faire tomber des têtes et soulever des peuples entiers, et non pas seulement s’achever sur une damnation éternelle et la perte de fidèles. Si Hadrien devait un jour être amené à régner, la leçon de cette journée auprès du successeur de Saint-Sevan se révélerait des plus essentielles.

" Nous partirons demain à l’aube. Je tâcherai de maintenir avec vous une correspondance régulière. Soyez assuré que je resterai votre éternel féal. "

Le Prince de l'Ecosientais s’inclina bien bas, son armure cliquetant de plus belle, avant de se signer et rejoindre ses troupes. Bientôt, l’armada alliée fera voile plein nord.